1947
Je navigue les images d'archives de façon quotidienne et une chose que nous croisons que très rarement, c’est-ce qu'on appelle plus communément de la bouffe de rue. Pourtant, près de 190 camions et charrettes, servent hot-dogs, patates frites, fruits et crème glacée avant qu’une interdiction ne vienne tout balayer en 1947.
Cette année-là, la Ville invoque des raisons d’hygiène et de circulation, mais aussi la protection des petits commerçants locaux, pour bannir la cuisine de rue sur tout le territoire montréalais. Pendant plus de six décennies, pas un seul aliment ne pouvait être vendu légalement sur la voie publique.
2013
Il a fallu attendre l’été 2013 pour assister à un revirement timide. Montréal lance alors un projet-pilote très encadré pour autoriser de nouveau la bouffe de rue, après 66 ans d’absence. Neuf emplacements désignés et 27 camions triés sur le volet. L’essai confirme l’engouement du public montréalais, ravi de goûter enfin à ce phénomène urbain mondial. Cependant, très vite, un décalage saute aux yeux.
À Montréal, tout est gourmet et haut de gamme, du sandwich au canard confit aux tacos au foie gras, avec des prix élevés en conséquence.
Pourquoi Montréal a-t-elle adopté une formule si rigide? Dès le départ, l’initiative est verrouillée par l’administration municipale pour rassurer les restaurateurs établis. Impossible de s’installer librement. L’emplacement de chaque camion est dicté par la Ville. Le soir, les camions doivent cesser de servir à 22h pile. Toute la préparation culinaire doit se faire dans une cuisine de production agréée. Cette approche étouffe toute spontanéité.
La bureaucratie entourant la bouffe de rue montréalaise a aussi découragé plus d’un aspirant cuisinier. Dès 2013, la Ville réserve les permis aux professionnels déjà en affaires. Exit le jeune chef sans le sou ou le nouvel immigrant voulant faire découvrir la cuisine de son pays. Le nombre de permis est plafonné à environ 1,5 fois le nombre d’emplacements autorisés.
Avec une quarantaine de sites, on compte à peine une cinquantaine de camions permis. Le détenteur d’un permis doit payer environ 2 000 dollars par an en frais à la Ville, sans compter l’achat du camion, l’équipement, les assurances. Ce lourd fardeau réglementaire a fait dire que Montréal suivait l’exemple de Chicago, où la bouffe de rue est tout aussi étouffée.
Malgré l’enthousiasme initial, le modèle montréalais connaît un échec progressif mais inévitable dans le contexte. Plusieurs camions disparaissent au fil des saisons, faute de rentabilité. Certains propriétaires abandonnent face aux ventes insuffisantes. À l'exception des événements ponctuels comme les premiers vendredis de l'Esplanade du stade Olympique, l’attrait des camions finit par s’essouffler.
2025
Tout récemment, le conseil d’arrondissement de l'arrondissement de Ville-Marie annonce le retour de six emplacements autorisés répartis dans différents quartiers centraux. Cette initiative signe une volonté de redonner vie à une scène de cuisine de rue moribonde. Les six sites;
Monument George-Étienne Cartier, avenue du Parc
Square Victoria
Place du Canada, rue de la Cathédrale
Parc Jos-Montferrand, rue Frontenac
Place des Montréalaise, avenue Viger
Place du Sable-Gris, rue Ottawa
D’autres villes offrent des exemples inspirants. Portland est souvent citée en modèle. Grâce à des règles permissives, les camions y pullulent et font partie du paysage culinaire. Le coût pour démarrer y est bas et les restrictions sont minimes. Près de 1 100 camions et chariots licenciés étaient en activité dans la région de Portland en 2022. À l’inverse, New York tolère des milliers de vendeurs ambulants malgré des licences limitées. Austin, Los Angeles et Toronto ont également su faire une place aux camions avec des règlements plus souples.
Je sais que la bouffe de rue n’est pas inexistante, tous les marchés de Montréal ont une offre de services au comptoir, rien ne vous empêche d’entrer dans une pizzeria et prendre une pointe pour emporter.
Montréal pourrait s’en inspirer. Plutôt que de cantonner les camions aux zones déjà bien servies, pourquoi ne pas les déployer là où ils apporteraient une réelle valeur ajoutée? Certaines zones mal desservies attendent peut-être cette bouffée gourmande. On pense aux grands parcs en périphérie, comme la piste du Canal-de-Lachine, le parc-nature de l’Île-de-la-Visitation ou les berges de Verdun et LaSalle.
En 2022, l’arrondissement Mercier–Hochelaga-Maisonneuve a invité six camions dans des secteurs éloignés pour combler une offre alimentaire inexistante. Cette initiative locale visait à stimuler l’économie de quartier et à mieux servir les citoyens.
Il est possible d’intégrer la cuisine de rue de façon complémentaire, sans nuire aux restaurants établis. Des camions bien choisis peuvent combler des créneaux vacants, offrir des spécialités inédites, desservir des horaires tardifs ou animer des lieux isolés. La récente annonce du retour des camions dans Ville-Marie donne espoir. Reste à élargir cette vision à l’ensemble de la ville avec un cadre plus souple et plus accueillant.
La cuisine de rue ne doit pas être une menace, mais une richesse supplémentaire pour Montréal. Libérer son potentiel, c’est redonner à la ville un peu de cette vitalité spontanée qu’elle cultive si bien ailleurs. Pour que les cônes orange et les clôtures de chantier ne soient pas les seuls marqueurs de notre espace public, il faudrait bien un jour accepter que la bouffe de rue fasse pleinement partie de notre paysage urbain.

Votre Opinion?
Maintenant que vous savez où je me tiens, laissez votre opinion en commentant, êtes-vous pour ou contre la présence des camions de cuisine de rue. Préfèreriez-vous voir voir les “carts” à hot-dog de style New York?