
Depuis des décennies, on a adapté, façonné et remodelé nos villes pour qu’elles conviennent aux voitures et à nos déplacements quotidiens
On a élargi les rues pour ajouter des voies, détruit des maisons pour faire place à des stationnements, et recalibré toute notre logique urbaine autour de l’automobile. On a sacrifié des quartiers vivants sur l’autel de la fluidité du trafic.
Mais, si l'on inversait la solution? Et si, au lieu de tordre nos villes pour les adapter à des véhicules toujours plus gros, on n’adaptait pas nos véhicules à la beauté de nos villes?
Aujourd’hui, le réflexe nord-américain est toujours le même;
Une rue est trop étroite pour les services d’urgence? On s'empêche de faire un développement pour cycliste.
Un virage est trop serré pour un camion de livraison? On n’ajoute pas de saillies de trottoir qui aiderait les piétons.
Le stationnement est trop serré pour les pick-up? On élargit les cases.
Si l'on prenait une ville comme Montréal, ou n’importe quel centre-ville nord-américain construit avant l’ère de l'automobile, et qu’on se posait la question inverse? Pourquoi devrions-nous tout modifier pour accommoder un camion de douze mètres, quand une solution évidente serait de réduire la taille du camion?
Tokyo le fait. Amsterdam aussi. Même certaines villes américaines commencent à explorer l’idée de camions de pompiers compacts, de fourgonnettes, de livraison électriques, de véhicules d’entretien urbain pensés pour la ville et non pour les autoroutes.
D'ailleurs, pas encore rendue de notre côté, la mode du « Kei Truck » est en réponse directe au camion utilitaire comme les pick-up toujours plus gros et haut.

Prenons les camions de pompiers. En Amérique du Nord, les normes de sécurité exigent souvent des rayons de virage énormes, parce que les camions utilisés sont aussi longs que des autobus articulés. Ce qui oblige les urbanistes à dessiner des rues plus larges, des coins plus dégagés, ce qui entraîne des vitesses plus élevées par les automobilistes, donc plus d'accidents. C’est le serpent qui se mord la queue.
Au lieu de repenser les véhicules, on rend les villes moins sûres, moins humaines, moins agréables, pour servir un modèle rigide hérité du 20e siècle.
Et trop souvent, ces mêmes véhicules, camions de pompiers, ambulances, véhicules d’entretien, sont utilisés comme argument de dernière ligne contre tout changement idéologique à nos rues. « on ne peut pas faire ça, les véhicules d’urgence ne passeront pas ». Et pourtant, dans d'autres villes du monde, on a simplement choisi de fabriquer des véhicules adaptés à la réalité urbaine, plutôt que de transformer la ville pour accueillir des engins disproportionnés.

Voilà, ce n’est pas de la science-fiction. Les véhicules plus petits existent déjà. Camions de pompiers compacts utilisés dans des villes densément peuplées. Autobus urbains à format réduit pour les quartiers résidentiels. Équipements municipaux pensés pour les ruelles ou trottoirs. Ce n’est pas la technologie qui manque. C’est la volonté.
Parce qu’en Amérique du Nord, on est encore profondément enraciné dans une culture du « plus gros signifie plus meilleur ». Les constructeurs automobiles produisent pour les grandes routes. Les services d’incendie ont des flottes standardisées depuis des décennies. Et nos normes urbaines ont été façonnées par une logique de gabarits plutôt que de besoins réels.
Et, soyons honnêtes, il y a aussi un confort idéologique à croire que la ville doit plier devant la machine, plutôt que l’inverse.
À Montréal nous avons quand même eu la chance depuis quelques maires et mairesse à avoir vu ce type de résolution, quelques compagnies de transports, notamment Nationex, Purolator ou Fedex à se doter de vélo cargo à assistante électrique pour naviguer dans les rues du Centre-Ville. On retrouve aussi des camions à benne à déchet sous les 14 verges pour les ruelles étroites et les parcs.

Ceci étant dit, imaginez une ville où les rues étroites ne sont pas vues comme des obstacles, mais comme des lieux riches. Où la ruelle redevient un espace de jeu. Où un véhicule ne roule pas sur le trottoir pour faire son tournant. Une ville où l’on n’a pas besoin d’un F-350 pour transporter une boîte ni d’un camion de pompier surdimensionné pour chaque appel.
Ce n’est pas un rêve lointain. C’est une ville qu’on peut construire. Il suffit de poser une question différente : et si ce n’était pas la rue qui est trop petite… mais le véhicule qui est trop gros?
Malheureusement, c'est devenu un geste politique de dire non à l’adaptation constante pour l’automobile, c’est remettre en question une inertie dangereuse, qui nous coûte cher, qui tue parfois, et qui rend nos milieux de vie plus ternes. Tout ça s’est rendu « woke » et nos politiciens sont frileux de se faire étiqueter dans les réseaux sociaux d’une frange de la population.
Dans tout le texte, je n’ai pas parlé de soucis écologique ou économique, je ne parle pas de véhicule électrique ou de la consommation réduite qui seraient d’autres incitatifs important à ce changement d’idéologie. Je tenais simplement à parler que du point de vue urbain, sans autre biais.
Alors la prochaine fois qu’on vous dira « On ne peut pas à cause des véhicules d’urgence », demandez plutôt : et si l'on rétrécissait le camion?
Il y a aussi la ville d’Utrecht. Avant, ça regorgeait d’autos. Aujourd’hui, ses citoyens respirent mieux!