Le plex montréalais
Icône en sursis ou avenir réinventé?
L’âme de Montréal se révèle dans ses quartiers ouvriers et les alignements de triplex aux escaliers extérieurs, témoins vivants de l'histoire sociale et urbaine, conférant à la ville un charme unique.
Plus que de simples habitations, ils incarnent Montréal. Pourtant, ce patrimoine distinctif est-il en voie de disparition? Le plex vital au tissu urbain et à notre héritage local, mérite-t-il une protection active face à la modernisation?
Un patrimoine tissé dans l'Histoire de Montréal
Inspirés par les terrasses anglaises, les plex, principalement des duplex et triplex, ont émergé à la fin 19e et début 20e siècle, répondant au besoin de logements pour les familles ouvrières durant l'industrialisation. Leur adoption fut graduelle, devenant majoritaire entre 1906 et 1914.
Les escaliers extérieurs résultent de facteurs très pragmatiques, une réglementation imposant des marges de recul pour des espaces verts, limitant l'espace constructible au sol.
Les placer à l'extérieur maximisait ainsi l'espace habitable intérieur et réduisait les coûts de chauffage pour les propriétaires. D'abord perçus comme une « nuisance », ils furent même interdits dans les années 1940 avant d'être réautorisés et de devenir un symbole iconique.
Le "missing middle" de Montréal
Un autre facteur en faveur du plex est le "Missing Middle Housing" (logement intermédiaire manquant) qui désigne des bâtiments multiunités à échelle résidentielle (duplex, triplex, petits immeubles) qui s'intègrent aux maisons unifamiliales, offrant une diversité et favorisant la marche.
La chance de Montréal est de posséder déjà un vaste parc de ce type, soit 78 % de ses résidences en 2016. Les plex montréalais incarnent parfaitement ce concept, offrant une densité à échelle humaine (jusqu'à 35 000 personnes/km) qui soutient une vie de quartier dynamique et les commerces de proximité. Ce type d’Architecture est manquant (d’où le nom) de la grande majorité des villes nord-américaines, voir même illégal à construire.
Historiquement, ils ont fourni des locations abordables et un accès à la propriété, avec une conception adaptable et écoénergétique (murs mitoyens, ventilation croisée). Alors que d'autres villes peinent à créer ce "missing middle", Montréal doit préserver et valoriser cet atout majeur, solution durable face à l'étalement urbain.
D’ailleurs, Montréal est généralement considérée comme une ville plus locative que propriétaire par rapport à la moyenne canadienne et à d'autres grandes villes du pays, ce qui explique entre autres pourquoi la crise du logement a pris autant de temps pour se rendre à nous en comparaison à Toronto, Calgary ou Vancouver.
Patrimoine sous pression
Contrairement aux immeubles d’habitation qui sont propriété de corporations, les plex traditionnels ont habituellement des propriétaires privés qui souvent y habite.
Or, le triplex fait face à des menaces croissantes. La conversion en condominiums (divises ou indivises) réduit le parc locatif abordable, alimentant l’embourgeoisement et le déplacement de résidents.
Une étude de l'IRIS a montré que les évictions pour conversion ciblent souvent les locataires de longue date aux loyers modiques. La pression pour une densification accrue, via de "nouveaux plex" plus grands ou des "5-over-1", risque d'altérer l'échelle et le caractère des quartiers traditionnels si l'intégration n'est pas soignée.
L'entretien des escaliers extérieurs en fer forgé, surtout anciens, représente un fardeau financier considérable pour les propriétaires, pouvant mener à leur négligence, leur enlèvement, voire la démolition du bâtiment.
En 2022, 575 unités de logement ont été démolies à Montréal, et ces menaces se manifestent souvent par une érosion lente, conversions discrètes, négligence, et redéveloppements qui, cumulativement, dégradent l'identité des quartiers.
Le délicat équilibre
Face à ces menaces, des mesures existent, programmes de subventions à la rénovation comme RénoPlex, restrictions par certains arrondissements sur la fusion ou conversion de logements, et lois sur le patrimoine.
Ces efforts s'inscrivent dans un débat constant pour concilier préservation et développement. La fragmentation des politiques et les lacunes dans leur efficacité restent des défis. Des organismes comme Héritage Montréal, des groupes de défense des locataires (FRAPRU, RCLALQ), et des ordres professionnels comme l'Ordre des urbanistes du Québec (OUQ) jouent un rôle crucial en militant pour la préservation, en dénonçant la spéculation et en prônant un urbanisme respectueux.
S'inspirer pour mieux préserver
L'expérience internationale offre des pistes. Au Japon, face à la crise des akiya (maisons abandonnées), des stratégies incluent des "banques d'akiya" en ligne, d'importantes subventions gouvernementales pour la rénovation (jusqu'à 3 millions de yens à Hokkaido), et des initiatives communautaires transformant des bâtiments anciens en espaces partagés.
Une philosophie du soin y émerge, valorisant la réutilisation adaptative et la vie intentionnelle dans ces espaces plutôt que des rénovations coûteuses systématiques, soulignant aussi l'avantage environnemental de la réutilisation.
D'autres exemples, comme la préservation des maisons en rangée à Leeds au Royaume-Uni ou les brownstones et les “stoops” de New York, montrent que la sauvegarde du patrimoine peut être un levier de développement durable et de vitalité communautaire, nécessitant un engagement soutenu et des politiques adaptées.
Pour que vivent les plex et leurs escaliers emblématiques
Le triplex montréalais est un héritage architectural unique, un modèle éprouvé de "missing middle" et un symbole identitaire. Sa survie exige une stratégie de conservation globale et proactive.
Celle-ci doit inclure une protection robuste contre les démolitions et conversions injustifiées, une adaptation et intégration intelligente des nouvelles constructions respectant le caractère existant, un soutien financier ciblé pour l'entretien des éléments distinctifs comme les escaliers, l'engagement communautaire pour préserver l'abordabilité, et la valorisation de l'énergie intrinsèque des bâtiments existants surtout, durant une crise du logement tel que vit l'Amérique du Nord en ce moment.
Considérer la conservation comme une forme d'innovation est crucial. L'audace pour Montréal réside dans l'adaptation créative de ses atouts uniques. Les qualités des plex sont celles que d'autres villes recherchent et nous sommes en train de l’abandonner tout bonnement.
Une volonté politique forte est indispensable pour prioriser cet héritage, malheureusement c’est un élément de plus en plus rare.
Les choix d'aujourd'hui façonneront l'identité future de Montréal. Préserver les triplex, c'est maintenir une ville vivable, unique et durable, un héritage vivant à transmettre. Voyez vous de nouveaux triplex se faire construire à Montréal?






